Ma participation était à titre de responsable du projet pour le CRDI. Nous appuyons cette demande de changement de paradigme. Au lieu d’une approche un peu ex-post, il est question d’anticiper sur les potentielles crises et problèmes liés à la gestion des ressources naturelles et de l’environnement. Une fois que les dégâts sont causés, il est difficile de réparer. C’est peut-être important d’expérimenter des approches qui permettent d’anticiper pour éviter ces effets. C’est dans cette perspective que nous avons appuyé ce projet assez innovateur dans sa démarche. Ma participation à ces assisses était pour écouter et voir comment l’outil d’alerte précoce développé par le CED (Centre pour l’environnement et le développement, ndlr) peut être approprié par des communautés qui font face à des cas de violation de leurs droits en matière de gestion des ressources naturelles et même d’accès à ces ressources naturelles. Que ce soit en relation avec les mines, l’exploitation forestière ou l’agro-business de façon générale. Les discussions ont été très fertiles.
Quel était l’objectif de votre participation à l’atelier de Yaoundé ?
L’idée était de voir dans quelle mesure cet outil assez innovant peut être approprié par nous, mais également discuter et voir quelles sont les dynamiques en termes d’approches collaboratives qui me semblent extrêmement importantes et indispensables quand on parle de ces questions de ressources naturelles qui sont dans le domaine public. Ces ressources naturelles sont des ressources communes. Par ailleurs, la recherche l’a montré et le CED l’a confirmé : quel que soit le domaine où l’environnement est menacé (mines, plantations et autres…), les conséquences sont plus ou moins similaires au niveau des communautés. Ce sont des pertes dans leurs conditions de vie, leur environnement, des déplacements forcés quelques fois, des accaparements, des problèmes de santé, de violation de leurs valeurs culturelles et cultuelles. C’est une opportunité de voir comment ces acteurs peuvent être mis ensemble pour adresser collectivement ces questions qui touchent à l’humain. En tant que responsable du projet au CRDI, il était donc important de participer aux débats pour apprendre de ces experts, de ces défenseurs du droit de l’environnement, sur des stratégies qui peuvent fonctionner pour pouvoir anticiper sur les conflits. Nous le savons : un conflit peut commencer, mais l’arrêter n’est pas toujours évident. Aussi, il y a des moyens d’anticiper, d’avoir une co-production de solutions durables et que tout le monde y gagne, parce que les ressources naturelles sont là pour être exploitées aussi. Mais, il faudra que cette exploitation profite aux communautés autochtones, à travers une bonne gouvernance des ressources disponibles, une gouvernance inclusive et participative.
Vous insistez sur la nécessité de bâtir une alliance stratégique au niveau de l’Afrique centrale pour adresser la question des ressources naturelles, au lieu de voir le problème de façon isolée. Pourquoi une telle perspective ?
Les questions qui se posent au Cameroun dans les différentes communautés sont similaires. Les conséquences sur les individus et sur l’environnement le sont également. Et c’est la même chose dans les autres pays qui constituent la CEEAC (Gabon, Congo, RDC, Guinée équatoriale, etc.). Peut-être ce sont des échelles un peu différentes, mais les conséquences demeurent les mêmes sur les communautés. Et pour avoir des solutions durables, il me semble que c’est important d’avoir des solutions qui peuvent être mises à l’échelle. La CEEAC (Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale, ndlr) offre une opportunité pour mettre à l’échelle les solutions qui sont développées au niveau local. Au moins on a une base d’actions. Grâce à l’outil développé par le CED avec l’aide du CRDI, on peut faire le plaidoyer auprès des acteurs communautaires pour permettre de diffuser et de faciliter son appropriation et application dans d’autres environnements, pour limiter l’éruption des conflits qui sont souvent inutiles et qui peuvent être prévenus. Et puis, que l’exploitation des ressources naturelles soit faite dans une perspective beaucoup plus équitable, juste et inclusive.
Dans quelle mesure est-il nécessaire d’impliquer la gent féminine à cette dynamique ?
La communauté est hétérogène. Elle est composée d’hommes et de femmes, de jeunes et de moins jeunes et chacun a ses intérêts. Les besoins des femmes sont différents des besoins des hommes, très souvent en matière d’accès au foncier, aux ressources naturelles. C’est vraiment lié à leurs rôles de production et de reproduction qui sont différents. Le rôle de reproduction de la femme lui confère les prérogatives de la reproduction de la société. Et au-delà de la reproduction naturelle (procréation), c’est reproduire aussi les liens sociaux, les relations sociales, maintenir la cohésion sociale. Ce sont des rôles importants que les femmes jouent dans les communautés. Si en apportant des solutions on n’intègre pas les perspectives de genre, on risque de fausser les choses. J’ai l’habitude de dire que l’intégration ou la prise en compte de l’égalité de genre dans ces processus de développement ne doit pas être perçue comme un jeu à somme nulle. Ce n’est pas parce que la femme gagne un peu de pouvoir que l’homme en perd. On avance ensemble et la société avec. C’est important que toutes les forces sociales soient impliquées dans la recherche de solutions et dans leur mise en œuvre selon les besoins différenciées.